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Nouveau programme de maths : le mirage numérique

La réforme Darcos sur le lycée est reportée… Pas le nouveau programme de maths de la classe de seconde ! Or, le projet soumis à consultation jusqu’au 15 mai préfigure un changement radical de point de vue dès la rentrée 2009.

Le nouveau programme de mathématiques de la classe de seconde est débattu dans les académies depuis le 16 mars. Les rectorats doivent communiquer des synthèses de ces échanges avant le 15 mai au ministère. Il y a urgence : il faut s’adapter aux connaissances actuelles des élèves de troisième, le programme de cette classe ayant déjà été modifié. Mais le projet se heurte à une résistance inattendue. De nombreux enseignants montent au créneau : une pétition pour le maintien de la géométrie a recueilli… 3757 signatures électroniques depuis le 2 avril.

 

Ce qui coince ? Dans le projet élaboré au ministère, la géométrie a disparu, enterrée avec ses démonstrations ! Place à l’algorithmique, aux probabilités et aux statistiques, l’usage intensif de l’ordinateur devenant obligatoire. Face à la levée de bouclier de la part des enseignants et des chercheurs, les concepteurs du programme devraient faire quelques concessions en réintégrant une louche de vecteurs et quelques grammes de triangles. Et il semblerait que les manuels scolaires de l’année passée soient encore utilisés. Le projet avant bricolages donne toutefois des informations précieuses sur les intentions du ministère.

La mathématique scolaire, une science expérimentale ?

 

La place de l’usage de l’ordinateur est devenue prédominante dans ce projet de programme. « L’utilisation de logiciels (calculatrice, ordinateur) […] développe la possibilité d’expérimenter, ouvre largement la dialectique entre l’observation et la démonstration et change profondément la nature de l’enseignement. » C’est bien plus que la nature de l’enseignement qui est bouleversée, c’est la nature même de la mathématique scolaire. Les mots sont importants : l’usage de l’informatique permettrait d’« expérimenter », d’« observer ».

Le monde numérique deviendrait ainsi la fenêtre d’observation des objets mathématiques. Il s’agit là d’une arnaque, le monde numérique ne connaît pas plus le hasard que les objets géométriques. Par exemple, la simulation informatique du lancé d’un millier de pièces pour constater qu’environ la moitié retombe sur « pile » ne permet pas de se convaincre de la loi des grands nombres, cela montre au mieux que l’informaticien chargé de programmer la touche « random » a plutôt bien fait son travail.

La nature des mathématiques

 

Oser penser que les mathématiques ne sont pas qu’une science hypothético-déductive ennuyeuse et rigide, ce n’est pas les abandonner à de pseudo-expérimentations sur ordinateur, c’est assumer qu’elles peuvent faire partie des humanités au même titre que la philosophie ou la littérature.

« La caractéristique des mathématiques qui les distingue des autres humanités est leur qualité quasi scientifique. Leurs conclusions sont contraignantes, comme celles de la physique. Ce ne sont pas simplement des produits de l’opinion, et elles ne sont pas sujettes à des désaccords permanents comme les idées de la critique littéraire. » écrivent Philip J. Davis et Reuben Hersh en conclusion de leur remarquable ouvrage « L’univers mathématique ». Et d’ajouter : « en tant que mathématiciens, nous savons que nous inventons des objets idéaux, et nous essayons de découvrir les faits qui les concernent. »

Au tableau noir, l’enseignant trace à main levée la représentation d’un cube en perspective.

« Étant donné un cube… »

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«… quelle est la mesure de l’angle compris entre les deux diagonales représentées ? »

Certains élèves de la classe de Seconde annoncent 90°, d’autres pensent à 120°. Les avis s’opposent, le débat scientifique est lancé. Chacun sait qu’il faudra finir par s’entendre par la force de l’argumentation.

Mais ça, c’était avant la réforme.

La mode est au prêt-à-penser

D’une certaine manière, le programme est ambitieux : algorithmique (voir encadré ci-dessous), cryptographie, théorie des graphes… les thèmes d’étude sont très complexes. Et précisément trop complexes pour être réellement compris. Les élèves devront croire sur parole les enseignants, les illustrations informatiques feront office de preuve. Sous prétexte de coller aux préoccupations technologiques des nouvelles générations et d’aborder des thèmes de recherche actuels en mathématiques, la mathématique scolaire prépare les citoyens à accepter le monde numérique comme monde de la réalité sans véritable outil de pensée.

L’enseignement des mathématiques renonce ainsi au pari de l’intelligence. Les élèves habitués à l’outil informatique n’en comprennent pas les tenants et aboutissants ; pas d’esprit critique, c’est la docilité qui prend le dessus. L’idéal pour créer une société prête à croire sans broncher tout fait issu de la technoscience (ondes d’antennes relais inoffensives, risque zéro du nucléaire, OGM…).

Les mathématiques comme expérience intellectuelle

Mais revenons à notre cube. Imaginons que l’enseignant n’allume pas son ordinateur, après réflexion un élève proposera de compléter le triangle équilatéral… l’angle mesure 60°.

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Bien loin d’internet et des consoles de jeux vidéo, les jeunes peuvent encore s’émerveiller, faire des mathématiques et même éprouver une certaine satisfaction intellectuelle avec juste un cube et un triangle équilatéral.

L’enseignement actuel est loin d’être parfait, les élèves sont souvent noyés dans les calculs et la technique. Les élèves doivent pouvoir exercer leur pensée sur des objets idéaux simples comme le triangle ou le cube et l’informatique peut être un outil parmi d’autres pour aider les élèves à s’approprier les notions mathématiques. Mais fonder l’enseignement des mathématiques sur le mirage numérique est un piège.

P.S. « Ouvrir à une façon de penser le monde ou instruire sur un monde déjà pensé ? » telle est la vraie question de l’enseignement des mathématiques. Marc Legrand, enseignant-chercheur, y répond de manière brillante dans un exposé que nous vous invitons à lire.

CryAlgorithmique ou programmation ?

La notion d’algorithmique n’est pas précisément définie dans le projet de nouveau programme. Les capacités attendues des élèves se résument à savoir programmer un calcul en utilisant boucles et instructions conditionnelles.

Pour mieux cerner le sujet, prenons pour définition :

« Un algorithme est une succession de manoeuvres à accomplir toujours dans le même ordre et de la même façon, manœuvres qui sont en nombre fini et s’appliquent à un nombre fini de données. » ( Stella Baruk – Dictionnaire de mathématiques élémentaires)

Ainsi, l’élève de primaire en posant une division euclidienne fait de l’algorithmique sans le savoir. L’élève de seconde pourra écrire en langage informatique :

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