Europe : la grande arnaque du traité de Lisbonne

Au-delà du clivage entre « ouiistes » et « nonistes », et au nom du respect des principes démocratiques, il est important de signer la pétition exigeant un référendum.

Le 29 mai 2005, le peuple Français dit « non » au Traité constitutionnel européen (TCE). Prenant acte de ce résultat sans ambiguïté (55 % contre 45 %), la classe politique se remet autour de la table deux ans plus tard. Pour sortir la construction européenne de « l’impasse », un nouveau texte est adopté le 13 décembre 2007 à Lisbonne par les représentants des gouvernements des Etats membres de l’UE. Mais cette fois, plus question de convier les citoyens aux urnes. Le 4 février prochain, ce sont les députés et sénateurs, réunis en congrès à Versailles, qui sont invités à dire « oui » à ce nouveau traité, au nom du peuple Français. Ou plutôt à son nez et à sa barbe.

 

Le débat a eu lieu en 2005…

Pourquoi cette ratification est-elle un véritable déni de démocratie ? Parce que la question européenne, à travers les enjeux qu’elle pose et l’avenir qu’elle engage, est trop complexe et trop importante pour être réglée sans un véritable débat public, démocratique et populaire. Ce débat a eu lieu en 2005. Il a été riche, âpre parfois, compliqué, technique aussi, certainement pas facilité par la longueur et la lourdeur du texte proposé au vote.

Le TCE n’était pas une véritable constitution. Il était une compilation de l’ensemble des traités européens précédents, à laquelle étaient adjointes quelques « avancées ». Ces traités, depuis nombre d’années, cristallisaient autour d’eux des oppositions de la part d’acteurs, militants, syndicalistes, intellectuels, chercheurs, spécialisés dans les questions européennes. Si la campagne référendaire de 2005 a eu un mérite, ça a été celui de faire connaître et de répandre ces critiques dans le grand public. Début 2005 en France, on a parlé de politique, et on a parlé d’Europe ! Une idéologie a tombé le masque : le néolibéralisme, qui aime se faire passer pour « la seule alternative » possible, raisonnable, réaliste. Une autre a relevé la tête : on pense à la gauche de gauche, à sa critique de la mondialisation financière, et à sa défense des services publics. On ne parle évidemment pas ici du nationalisme raciste d’extrême droite qui n’a, malheureusement, pas eu besoin du débat sur le TCE pour proliférer depuis vingt-cinq ans.

 

… il doit avoir lieu en 2008

En 2005, la majorité de la classe politique (et médiatique) française a pris parti pour le « oui » et a été désavouée par l’électorat (et l’audimat). On peut comprendre qu’elle ne souhaite pas revivre la même scène. La seule leçon qu’elle a tirée de ce séisme politique est d’abandonner l’idée de « constitution ». L’emballage, le paquet cadeau a été déchiré. Mais le contenu, le joujou entre les mains de la Commission européenne, reste identique. Le TCE est redevenu un de ces bons vieux traités modificatifs qui ont fait avancer l’Union européenne depuis 1957 jusqu’à aujourd’hui. En fait, « rien ne change », selon Angela Merkel, la chancelière allemande.

Pour qu’un débat puisse avoir lieu en 2008, il faut donc un nouveau référendum. Cette question est indépendante du clivage « oui », « non ». Il ne s’agit là que du respect de principes démocratiques. Beaucoup de partisans du « oui », députés et sénateurs en tête, rappellent qu’au cours de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a été très clair : « Il n’y aura pas de nouveau référendum ».Il ne fait aujourd’hui que tenir sa promesse. Soit. Mais c’est à ces mêmes députés et sénateurs, et pas à Nicolas Sarkozy, que revient la tâche de voter au congrès. Et eux, n’ont rien promis. Ils peuvent donc, ce jour-là, refuser la proposition qui leur est faite par le président de la République de se substituer au peuple qui les a élus.

En fait, l’argument de la sacrosainte « promesse de campagne », à laquelle le président ne pourrait soi-disant pas déroger, est fallacieux et même risible. Nicolas Sarkozy avait aussi promis une véritable renégociation du texte, et proposé l’idée, pour « débloquer » la situation européenne, d’un « mini-traité » se limitant aux points les plus consensuels. Promesse non tenue, si le nouveau traité est bien le clone du TCE, comme le pense Raoul-Marc Jennar (voir l’article ci-dessous). En matière de promesses présidentielles, il y aurait donc deux poids, deux mesures…

 

L’enjeu du vote du Congrès

Au congrès de Versailles, les députés et sénateurs doivent se prononcer sur la révision constitutionnelle indispensable à la ratification parlementaire du traité européen. Cette révision ne peut être effective que si, au Congrès, celle-ci obtient la majorité des 3/5e des voix des élus. Or, depuis les dernières élections législatives, la majorité présidentielle ne dispose plus des 3/5e au Congrès. Pour cela, la droite gouvernementale et Nicolas Sarkozy ont besoin du soutien de l’opposition de gauche.

Malheureusement, depuis vingt ans, le Parti socialiste est le « maillon faible » de la gauche française. Il le prouve une nouvelle fois. En effet, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’assemblée nationale, vient d’annoncer que le PS boycotterait le congrès. Par ce geste, les élus socialistes entendent être à la fois fidèles à l’appréciation positive portée sur le traité et à l’exigence d’un référendum défendue par la candidate Ségolène Royal. Cependant, ils renoncent surtout à leur pouvoir de bloquer l’adoption du TCE-bis, rejeté par les Français, dont nombre d’électeurs socialistes. Ils font l’erreur de mêler deux questions différentes, celle de la forme et celle du fond, celle de la démocratie et celle de l’idéologie.

 

Que faire ?

Raoul-Marc Jennar (voir l’article ci-dessous) a démarré, à Lille, une série de dix-huit conférences qui se dérouleront en France jusqu’au 4 février 2008. Il imagine trois axes de mobilisation citoyenne d’ici au Congrès. Premièrement, il estime urgent de signer la pétition du Comité national pour un référendum (CNR, en référence au Conseil national de la Résistance) exigeant la tenue d’un référendum.

Deuxièmement, il préconise de questionner les candidats aux municipales, lorsqu’ils sont aussi députés et sénateurs, sur leur intention vis-à-vis du Congrès, et de relayer leur prise de position pendant la campagne des municipales. Il rappelle, à ce propos, que la question européenne n’est en aucun cas déconnectée des questions politiques locales. En effet, il y a des dispositions dans le traité modificatif qui peuvent concerner les services publics communaux, notamment dans le sens de leur « libéralisation », c’est-à-dire de leur privatisation.

A ce niveau, la construction européenne actuelle est bien un facilitateur de la politique de marchandisation menée avec vigueur par l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC) à travers l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). C’est un accord tellement ambitieux de mise en concurrence de tous les services (santé et éducation compris) qu’il n’est pas encore appliqué, mais il reviendra tôt ou tard sous les feux de l’actualité. Face à cela, certaines communes de France se sont d’ores-et-déjà déclarées « zones hors AGCS  ».

Troisièmement, Raoul-Marc Jennar engage tous ceux qui le peuvent à se joindre aux manifestations de protestation qui ne manqueront pas de s’organiser au moment du congrès. Autrement dit, il s’agit que le peuple monte à Versailles !

 

 

 

« Le nouveau traité modificatif ne modifie rien ! »

 

« On se croirait revenu en 2005 » lance Raoul-Marc Jennar, en conférence à Lille le 7 janvier 2008. Et pour cause, le nouveau traité modificatif de Lisbonne ressemble en tous points au traité constitutionnel européen. Jennar fut l’un des artisans du « non » de gauche lors de la campagne référendaire. Chercheur en sciences politiques, il s’est spécialisé dans les questions liées à l’Organisation mondiale du commerce et a écrit plusieurs ouvrages sur la construction européenne. Arguments à l’appui, il montre que rien n’a changé depuis 2005… sur les sujets importants.

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La Charte des droits fondamentaux. « Les concepteurs du traité modificatif considèrent la Charte des droits fondamentaux comme une « avancée ». « Avancée » signifie amélioration et non pas destruction de l’existant, c’est-à-dire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. En effet, alors que cette dernière propose des « droits collectifs », la charte, elle, les élude. Si ce n’est pas une régression… »

 

La démocratie. « Les concepteurs du traité modificatif affirment améliorer le fonctionnement démocratique de l’Union. Par exemple, le parlement pourra voter sur plus de matières demain qu’aujourd’hui, il pourra aussi voter tout le budget de l’Union. Le traité redonne un peu de poids aux parlements nationaux… Au final, les améliorations sont minimes par rapport aux véritables enjeux. Il n’y a aucune amélioration en termes de séparation des pouvoirs, on sait pourtant que c’est un principe fondamental de la démocratie depuis Montesquieu ! La Commission européenne concentre toujours l’exécutif et le législatif. Elle conserve ainsi son « monopole de l’initiative », c’est-à-dire qu’elle est la seule à pouvoir proposer, et ce depuis 1957. Plus grave encore, on ne peut pas la révoquer. Cette institution bafoue toutes les instances élues. C’est une véritable entaille à notre suffrage universel. »

 

Le caractère néolibéral des politiques. « Premièrement, en ce qui concerne le principe de la « concurrence libre et non faussée », il n’a pas disparu du traité, contrairement à ce qu’affirme Nicolas Sarkozy. Si la formule n’est plus explicitement écrite dans le corps du texte, on la retrouve dans le protocole annexe, qui a la même force juridique que le traité lui-même. On est dans l’artifice. Deuxièmement, en ce qui concerne la question des services publics, c’est à dire les services d’intérêt général (SIG) en langage européen, la délégation française n’a rien obtenu de fondamental non plus. En effet, selon elle, les services publics seraient désormais protégés contre l’application des règles de la concurrence, par un protocole portant sur les SIG. En fait, seul le titre contient ce sigle. Dès l’article 1, SIG devient SIEG, c’est-à-dire service ECONOMIQUE d’intérêt général, donc soumis à la concurrence ! Ce protocole aura force de droit. Il prépare donc clairement à l’application future de l’AGCS (voir l’article ci-dessus) visant à la libéralisation, donc la privatisation, de toute activité de service. »

 

L’ouverture à la mondialisation. « La mondialisation, c’est la mise en concurrence des actions humaines. Pour que cette concurrence soit libre et non faussée, cette mondialisation nécessite que les règles soient minimales. Cela conduit à détruire les protections sociales dans les pays où elles existent. L’OMC cherche, en effet, à harmoniser les activités sur les niveaux les plus bas. La planète devient un immense marché où les frontières sont abolies et où toute activité peut être concurrencée par une autre. Hubert Védrine, dans son livre « Continuer l’Histoire », dit très justement que l’UE est le « cheval de Troie » de la mondialisation. »

 

L’euro fort et l’autonomie de la banque centrale. « Les statuts et missions de la Banque centrale européenne (BCE) restent inchangés. Aux Etats-Unis la Federal reserve (Fed) n’a pas cette indépendance, elle doit rendre de comptes au président américain. En Europe, M. Trichet, n’a de compte à rendre à personne. La BCE n’a qu’une seule mission : la lutte contre l’inflation (stabilité de la monnaie). C’est aussi la mission de la Fed, bien sûr, mais celle-ci a aussi des objectifs de croissance et de plein-emploi. Ce qui n’est même pas le cas de la BCE ! »

 

L’Europe et l’OTAN. « Avec le traité, l’UE adhère à l’OTAN, c’est-à-dire à une institution atlantique. Elle renforce donc son allégeance à une organisation dont le véritable chef est le président des Etats-Unis. Le refus français de participer à la guerre en Irak en 2003 ne sera désormais plus possible. »

 

Faut-il donc être anti-européen ? « Non, bien évidemment. La construction européenne a résolu un certain nombre de problèmes. Il ne s’agit pas d’être contre l’Europe, mais contre la façon dont elle s’est construite. Une question importante est : les 27 pays formant l’Union veulent-ils la même Europe ? La réponse est non ! La Grande Bretagne veut une zone de libre-échange ; les pays de l’Est sont favorables à court terme au libéralisme économique… La question fondamentale pour ceux qui veulent une intégration européenne est en fait : pour en faire quoi ? L’essentiel, c’est la paix, la réconciliation franco-allemande. Ce n’est pas l’intégration économique, commerciale et financière, mais plutôt la démocratie, le social, l’environnement. C’est là le débat qu’il faudrait avoir !

On fait comme si on voulait tous une Europe qui n’est, en fait, pas définie. C’est pourquoi ce à quoi on assiste c’est à un unanimisme qui est le plus médiocre commun. Et les déceptions ne font que nourrir un retour aux nationalismes ! L’Europe ne doit en aucun cas devenir un super Etat (comme l’a été l’URSS). Je suis personnellement convaincu que ce sur quoi il faut réfléchir ensemble et se mettre d’accord c’est sur les compétences que les différents échelons sont les plus à mêmes d’exercer : quelles prérogatives pour l’échelon communal, départemental, régional, national, européen ? »